À propos de La France

Marie Christine
Questerbert

Cinéaste

La guerre (il s'agit ici de '14-18') met en avant l'héroïsme, mais certaines personnalités s'y plient difficilement. Elles s'accommodent mal de l'exaltation du surhomme que tendent à imposer les idéologues de théâtres d'opérations souvent sans issues. Même si une morale extérieure adaptée à la politique de puissance réduit ces combattants au silence, par l'arme des sanctions.

Le groupe, que décrit Serge Bozon, mené par un Lieutenant (Pascal Grégory) s'adapte, tout en essayant de "passer au travers", au quotidien. La troupe voit donc d'un mauvais œil débarquer un jeunot (Sylvie Testud) qui prétend s'incruster parmi eux et partager le péril. Et cependant, après avoir créé la surprise, il faut admettre que, sans se mettre en avant, l'adolescent s'impose par quelques prouesses et force le respect. Chacun pressent qu'il remet en question leur position de repli inavouée…redécouverte de la vertu de la gloire ?

Plutôt que d'émouvoir la pitié par le spectacle du plus grand malheur, ce qu'aurait fait Aristote, le cinéaste préfère en effet une autre conception : on reconnaît dans cette figure de "recrue", la générosité des héros cornéliens qui ne subissent pas leur passion, mais l'érigent en une passion plus noble – où la volonté exprime la foi en un monde, et où le bien doit l'emporter sur le mal.

Destins croisés donc, l'adolescent devra tout conquérir à l'intérieur de ce régiment dont il ignore qu'il dérive volontairement. Son désir d'intégration parmi les soldats est tel, que leur méfiance lui paraît légitime. De leur côté, ceux-ci devinent qu'il s'avance masqué, mais sans savoir au juste pourquoi…

En opposant des personnages qui ne boxent pas dans la même catégorie et des registres habituellement peu compatibles, Serge Bozon s'intéresse ici à deux facultés de résister et atteint à une noirceur souriante.

La mise en scène ne se situe pas sur le plan de la reconstitution historique, le film (qui inclut aussi des chansons enregistrées sur le terrain) est davantage construit sur des changements de tons, passant du romanesque à l'observation, et joue souvent avec les attentes du spectateur. Est-il une déconstruction de la virilité pour autant ?

Longtemps filé comme un film d'aventures, soudain la guerre le rattrape et le fracture.

Il y a ici une densité, et une gravité, mais sans rhétorique, c'est ce qui fait l'intérêt du film, et ce qui avait déjà attiré notre attention avec Mods.

Bozon nous introduit en douceur sur le territoire de la filistrie, celui des fils, plutôt que dans la révérence des pères. En nous montrant, sans pathos, les quiproquos d'un groupe en déshérence qui ne peut plus continuer à s'identifier à un patriotisme, il réalise un film qui est davantage tendu vers l'intériorité, et vers une culture de la communication sous la communication. Il actualise.

Marie Christine Questerbert

 - 

Cinéaste


Publié le mardi 12 septembre 2017

Paroles de cinéastes

La France

Un film de Serge Bozon
A PROPOS DU FILM

Recherche

Gestion des cookies

En poursuivant sur ce site vous acceptez l’utilisation de cookies, qui servent à vous proposer une meilleure expérience de navigation (vidéos, photos, cartes interactives).

Tout refuser