AU PLUS PRÈS DES HOMMES
Le dispositif imaginé par Michele Pennetta, très proche de ses deux protagonistes et de la réalité de leurs vies de tous les jours, induit un travail préparatoire de tournage proche d'une mise en place ethnographique : installer pas à pas une relation de confiance entre le filmeur et les filmés ; les habituer patiemment à la présence d'une caméra ; se fondre dans le décor pour effacer chaque biais. On entre dans le quotidien des deux personnages par leurs gestes laborieux (Oscar harnache solidement des débris rouillés, Stanley brique le sol marbré d'une petite église) afin de rendre compte en premier lieu de leur condition sociale. Cette attention méticuleuse défend le film de toute tentation intrusive ou voyeuriste. C'est une oeuvre faite “avec” et non “sur” : Michele Pennetta accompagne ses héros plus qu'il ne les confronte. Arriver à ce degré d'intimité – parfois dure et crue, comme dans le scène du petit-déjeuner où Marco, le père, s'emporte contre ses deux fils au sujet de leur mère – sans forcer le regard tient de l'équilibrisme. Un pacte tacitement passé avec les spectateurs protège ainsi Il mio corpo de toute complaisance ou impudeur. Ce contrat moral se transpose directement dans la mise en scène qui refuse l'esthétisation factice en n'usant que de lumière naturelle et de prise de son directe. A l'exception du Stabat Mater de Pergolèse que l'on entend de façon diégétique dans l'église que nettoie Stanley, puis repris dans le générique final, aucune musique ne vient forcer la dramaturgie. Au contraire, le récit semble se détacher, comme immanent, de ce paysage brûlé par le soleil et la précarité.
PAR DELÀ DOCUMENTAIRE ET FICTION
S'il rejette ainsi une certaine beauté “artificielle”, Michele Pennetta ne se cache pas pour autant d'un travail de scénarisation approfondi. Il mio corpo a ainsi été écrit en trois temps : en amont du tournage, où l'idée du double portrait de Stanley et d'Oscar est née ; pendant, où le projet de départ est venu se cogner aux accidents du réel ; et surtout après, sur la table de montage, où la narration parallèle du film a pris finalement forme – inventant la possibilité d'une rencontre entre les deux personnages…
Cette écriture n'est pas fictionnelle au sens strict, en tant qu'elle n'invente pas la réalité sur laquelle elle se fonde mais cherche plutôt à lui donner un sens. Si l'on doit chercher quelques traces de fiction ici et là, c'est davantage via d'implicites références cinématographiques : le format Scope rappelle le western, de nombreux motifs iconiques renvoient à l'histoire du cinéma italien (les enfants du néoréalisme, les ragazzi pasoliniens, la Sicile viscontienne), une séquence nocturne flirte avec le surnaturel. Mais aussi par l'omniprésence d'éléments religieux qui réaffirment l'importance du catholicisme dans la culture des habitants de l'île et nimbent Il mio corpo d'une forme d'aura.
En cela, la démarche de Michele Pennetta appelle à dépasser la question des genres et à en comprendre l'interdépendance – même les gestes les plus triviaux s'inscrivent dans un monde d'histoires et de croyances, d'imaginaires et d'héritages. L'avant-dernier plan du film parachève cette confusion des genres en provoquant enfin la rencontre tant attendue de Stanley et d'Oscar (et peut-être rêvée) – et qui n'aurait jamais existé sans le tournage. Le réalisateur saisit une scène imprévisible de simplicité : un enfant qui dort et un adulte qui veille sur lui.
Publié le vendredi 16 octobre 2020