INVITATIONS AUX SPECTATEURS - DES HOMMES

UNE QUESTION D'HUMANITÉ


Le film aurait pu s'intituler Les Baumettes. Les cinéastes et leur producteur ont choisi Des Hommes, titre qui s'est imposé durant le travail de montage.

Que reste-t-il d'humanité dans cette prison dénoncée à de nombreuses reprises pour ses conditions de détention inhumaines (y compris par les plus hautes autorités administratives) ? Par quels interstices par-vient-elle à ressurgir ? Plutôt que de se focaliser sur ce lieu emblématique de l'univers carcéral en France, Alice Odiot et Jean-Robert Viallet se sont intéressés à ses occupants : les détenus mais également le personnel pénitentiaire, qui se laisse rarement filmer en immersion. Des images émerge la nécessité impérieuse de faire lien, envers et contre tout : on s'invective et on s'interpelle constamment, à travers les fenêtres, les barreaux, les couloirs interminables… Le dispositif mis en place par les cinéastes, favorisant l'émergence de la parole, semble ainsi répondre à ce besoin fondamental d'un rapport humain, d'un échange. Les protagonistes ont été prévenus en amont du tournage, mais aucune préparation particulière n'a été mise en place afin d'obtenir les scènes les plus naturelles possibles. On pressent aussi l'urgence de part et d'autre de témoigner de ces conditions de vie et de travail rendues insupportables. La vulnérabilité affleure souvent mais ces voix qui s'élèvent par-delà les verrous sont filmées sans misérabilisme. Elles dressent un constat implacable, qui nous questionne en tant que spectateurs et citoyens : est-ce ainsi que les hommes vivent ?


LE CHOIX DU CINÉMA

Cinéastes mais aussi journalistes (et récompensés chacun par le Prix Albert Londres en 2010 et 2012), Alice Odiot et Jean-Robert Viallet ont décidé dès la genèse du projet de réaliser un film de cinéma plutôt qu'un reportage. Pas de commentaire en voix off, pas de format préconçu, mais une expérience immersive pour le spectateur dont la forme serait dictée par les images et le matériel sonore recueillis. Les questions de mise en scène se donc posées d'emblée : où placer la caméra ? Quelle distance avec les détenus ? Comment ne pas s'imposer comme un œil supplémentaire, après celui des surveillants, puis de l‘institution en général ? Le film affiche une grande sobriété dans sa manière de contourner les contraintes spatiales : il privilégie les plans fixes, évite les axes regard (que ce soit du point de vue des détenus ou de celui du personnel pénitentiaire), et il s'écarte de tout sensationnalisme. La force des images vaut égale-ment par leur dimension métaphorique : l'insalubrité des Baumettes qui transparaît dans chaque scène ne figure-t-elle pas celle d'un système à bout de souffle ? Le travail sur le son favorise tout autant notre sen-sation d'immersion ; dans un lieu aussi chargé sur le plan sonore que la prison, les cinéastes ont su créer une dynamique entre sons environnants et intériorité des personnages. Ainsi passe-t-on de séquences dominées par les échos de lourdes portes qui se ferment, par la clameur lointaine de personnes incarcé-rées, à des scènes de monologues où la parole des détenus surgit en voix off. L'emploi de la musique semble participer du même mouvement : suspendre le temps et accéder à cette part d'intimité qui jusqu'ici se dérobait à notre regard.

Publié le mardi 21 janvier 2020

Article

Des Hommes

Un film de Alice Odiot
A PROPOS DU FILM

Recherche

Gestion des cookies

En poursuivant sur ce site vous acceptez l’utilisation de cookies, qui servent à vous proposer une meilleure expérience de navigation (vidéos, photos, cartes interactives).

Tout refuser