INVITATIONS AUX SPECTATEURS - MICKEY AND THE BEAR

Classicisme et territoire


La narration est une des caractéristiques historiques du cinéma américain : le soin apporté à l'écriture des personnages, à leurs interactions et aux relations de cause à effet qu'elles suggèrent apparaît central dans un art qui se donne pour point de départ de « raconter une histoire ». De ce point de vue, Mickey and the Bear se place dans cette lignée classique, cherchant moins à réinventer les formes de récit qu'à parfaire celles déjà existantes en les retravaillant dans de nouvelles géographies ou de nouveaux contextes. Car ce qui relie aussi le premier film d'Annabelle Attanasio à un autre pan du cinéma américain, plus contemporain, est aussi son rapport au territoire. En l'occurrence, le long-métrage s'installe dans la petite ville d'Anaconda, dans le Montana (Nord-Ouest des Etats-Unis), loin des grandes mégalopoles. Le film investit la plupart de ses lieux structurels et institutionnels (lycée, fête municipale, commissariat ou centre médical) et les travaille non pas comme un simple décor mais comme un tissu dans lequel la réalisatrice coud un à un chacun de ses personnages. La simplicité des figures que ces derniers convoquent (le père, la fille, la mère absente) joue ainsi en permanence sur les deux échelles du récit, à la fois ancré et universel. Mickey and the Bear puise son intensité dans cette dialectique et cette tension, jusqu'à la mettre en scène : la jeune héroïne semble enracinée dans cette petite ville enclavée sur laquelle se projette la relation d'amour-haine qui s'est installée avec son père. Annabelle Attanasio filme Anaconda comme on filmerait un piège qui s'est refermé sur ses habitants, les privant progressivement de rêver à un ailleurs. Elle reprend ainsi à son compte un thème qui servi de socle aussi bien aux grands mythes de l'ouest qu'au cinéma indépendant d'aujourd'hui, dans les traces par exemple de Jeff Nichols (Shotgun Stories) ou Chloé Zhao (Les Chansons que mes frères m'ont apprises).



Émancipation de l'héroïne, découverte d'une actrice


À partir de ce canevas, Mickey and the Bear construit donc un récit d'émancipation qui ne nie pas les violences symboliques et physiques qu'il charrie, qu'elles soient sociales (la dépression post-traumatique des anciens soldats, la précarisation des jeunes générations) ou sociétales (la description franche du comportement masculin oppressant). Au cœur de ces communautés surnommées « Rednecks » ou « White Trash », le film fait naître à l'écran une actrice dont c'est le premier rôle au cinéma. Le visage fermé mais très doux de Camila Morrone donne à son jeu un aspect ? souverain qui tranche avec l'âpreté de son environnement. Son calme envers et contre tout semble la maintenir à flot, face à la puérilité abusive de son petit ami, face à la toxicité et l'ambiguïté de son père ou face aux sermons de la docteure. Elle advient à l'écran en s'y imposant immédiatement, incontournable, masquant ses tourments en serrant les dents, sans jamais tomber dans un excès d'affèterie ou, au contraire, de nervosité ou de fureur. Cette apparition n'est pas sans rappeler celle de Jennifer Lawrence dans Winter's Bone de Debra Granik, dont la filiation avec Mickey and the Bear paraît évidente. C'est également dans ce jeu gracieux et qui ne cesse de contenir son caractère tempétueux que le premier film d'Annabelle Attanasio trouve une force originale.


Publié le mardi 21 janvier 2020

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Mickey and the Bear

Un film de Annabelle Attanasio
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