À propos de Amour d'enfance

Patrick
Zocco

Cinéaste

Tout est là, devant soi, juste là, à portée de cœur, palpable comme l'air qu'on respire. De l'art de l'indicible. C'est une campagne tranquille et chargée. C'est un huis-clos en plein air. C'est le silence des hommes dans une nature assourdissante. Ce sont toutes ces antinomies qui fixent d'entrée de jeu le cadre étourdissant dans lequel Paul va se débattre. Yves Caumon filme léger, en creux, pour mieux nous faire sentir le poids du hors-champ, comme cette magnifique scène de la mort du père dans sa dimension la plus vive.


_ De l'urgence de prendre le temps. Paul est en état d'urgence. Son père va mourir. Paul n'est pas le fils prodigue de la bible. Et pourtant il culpabilise. Comme reprendre le discours là où on l'a laissé avec les siens, avec ses amours d'enfance ? C'est une nécessité vitale pour lui. Etre le bon fils, l'ami fidèle, le parfait amoureux. Paul va prendre le temps, suspendre le temps, plus que de raison pour ne pas la perdre… Tenter de répondre aux désirs de l'autre. Celui de ses parents, celui de son ami Thierry ou celui de l'amour d'enfance Brigitte. Toute la problématique de Caumon se pose là : comment se débarrasser du fantasme de l'amour d'enfance, de l'amour idéal qui nous empêche de grandir et d'aimer, d'être heureux autrement.


_ De l'art du ratage. Heureusement, Paul rate. Paul rate avec brio tout ce qu'il entreprend. Les cadeaux à son père, à Thierry l'ami d'enfance qui sait bien (inconsciemment) comme Caumon que rien n'est gratuit. Son amour d'enfance, Brigitte qu'on ne verra pas, réincarné par Odile (la sœur cadette). Le retour à la terre empierré de bonnes intentions. Paul a le choix comme les deux chiens de l'histoire : se libérer comme celui de la ferme (« c'est tout ce qu'il y à faire ») ou se faire tuer, comme celui de son ami Thierry. Les impostures de Paul le sauvent. Paul rate pour mieux réussir. Le « prince charmant » dixit Odile, tous comptes faits, (et contes défaits) pourra enfin repartir.


_ De l'essence de l'humanité. Ce ne sera sûrement pas l'ultime campagne d'un Paul grandi, mais c'était sa campagne à lui. Nous sommes tous des Paul en puissance. Nous sommes tous des paysans d'origine, des cultivateurs d'émotions. Ici, le bonheur n'est pas toujours dans le pré. Yves Caumon trace son sillon, cultive l'art cinématographique dans sa dimension la plus humaine, tel un véritable amour pour la beauté du monde.

Patrick Zocco

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Cinéaste


Publié le vendredi 15 septembre 2017

Paroles de cinéastes

Amour d'enfance

Un film de Yves Caumon
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