Caroline
Chomienne
Cinéaste
Il y a longtemps qu'un film n'avait provoqué en moi une émotion aussi forte, aussi inhabituelle. Dans Beyrouth fantôme, l'émotion ne vient pas de l'expression des sentiments, d'une intrigue forte, de beaux personnages, de ce qui nous touche souvent dans le cinéma d'aujourd'hui. L'émotion arrive ici par l'esthétique du film, par l'extrême cohérence entre son propos et son écriture cinématographique. Ghassan Salhab filme l'intangible, l'influence et le choc des événements de la vie, de ce qui arrive ou est arrivé, de l'Histoire, sur la conscience des hommes, sur leur appréhension du monde, sur leur désir d'agir ou de ne plus agir, ou sur la vie intérieure qui dirige la faculté à vivre tout simplement. Confrontés au retour d'un ami - Khalil, qui avait disparu au cours des combats et passait pour mort, tel un héros - les protagonistes du film nous racontent les bouleversements de leur propre vie, ce que la guerre leur a volé et ce qu'elle leur a apporté, et comment ils continuent à vivre. Ils sont des fantômes en errance que la vie rattrape... Le film de Ghassan Salhab me touche par son humanité. Au-delà du traumatisme de la guerre et de l'après-guerre, il explore les traumatismes de la mémoire, avec les obsessions, les absences ou les amnésies qui la peuplent. Et par-delà Beyrouth, territoire sinistré, il nous emmène dans le paysage mental de l'homme, avec ses zones en reconstruction.
Caroline Chomienne
-Cinéaste
Publié le vendredi 15 septembre 2017