Sac la mort commence presque comme un polar. Mais si meurtre il y a, aucun suspens ne viendra jamais soutenir le récit. Une histoire d'amour perdu, se dit-on ensuite ; mais si amour il y a eu, il plane, insaisissable, impossible, décentré. Nous sommes d'emblée au cœur de destinées tragiques qui se tissent devant nous : Patrice vengera-t-il la mort de son frère ? Le film prend à rebrousse-poil la logique implacable des histoires bien ficelées, des dramaturgies programmatiques et des héros hauts en couleur au profit d'un récit qui s'élabore en creux, l'air de rien, avançant touche par touche, nous surprenant toujours là où on ne l'attend pas. Les discussions flamboyantes sautent du coq à l'âne, fonctionnent par soubresauts. Sac la mort est une histoire de personnages perdus, drôles, lâches, émouvants, paranoïaques parfois. Le film nous renvoie au héros que nous ne sommes pas, au anti-héros qui vibre en nous. Tout semble à chaque instant improvisé, saisi sur le vif, et pourtant l'histoire s'écrit en délicates alluvions qui infusent les consciences des personnages et les nôtres. Se dessine ainsi, sous nos yeux, un portrait éclaté de l'île de La Réunion à travers ses visages multiples, ses croyances syncrétiques et magiques, ses impasses politiques et les traces profondes qui affleurent partout du colonialisme ravageur.
Publié le vendredi 13 octobre 2017